L'ordinateur et l'Internet en classe de langue : petits conseils pratiques - Huitième partie L'irruption de l'ordinateur dans la relation pédagogique. Un questionnaire
Il m'est arrivé récemment de proposer un questionnaire à un petit groupe de quinze hommes et vingt femmes. Le groupe, peu représentatif du point de vue de la quantité, était au contraire très homogène et significatif quant à la qualité des personnes, toutes informatisées et toutes intéressées aux prémisses et aux caractéristiques de la relation pédagogique, et donc sensibles à ce qui peut la troubler ou modifier. Mon but ? Voir si, après tant d'années, l'ordinateur constitue encore un problème et s'il y a des différences significatives dans le comportement des hommes et des femmes. ![]() Avant d'aborder le noyau central du questionnaire, examinons de près les participants au sondage.
L'opposition Homme/Femme commence à être significative à partir des données concernant l'informatisation, plus ancienne et stratifiée chez les hommes. Date du premier contact avec un ordinateur (H=Hommes, F=Femmes) :
Autre donnée significative : l'utilisation de l'ordinateur.
Hommes et femmes utilisent l'ordinateur
Quant aux "rêves" (le questionnaire proposait : "je voudrais utiliser l'ordinateur pour...), les femmes voudraient utiliser l'ordinateur de façon plus personnelle
Les hommes, qui à mon avis sont déjà assez satisfaits de leur rapport individuel avec l'ordinateur et n'ont pas l'air de vouloir s'impliquer davantage (quelqu'un a même affirmé : "Ça suffit comme ça !"), se limitent, quant aux rêves, à des affirmations très génériques : ils voudraient utiliser l'ordinateur pour
![]() Les femmes ont dit (je cite) :
Les hommes ont dit :
Et là, la surprise : 40% des femmes et 53% des hommes s'efforcent, encore et toujours, de réduire l'ordinateur à un rôle subalterne de simple prothèse : on fait exactement ce qu'on faisait avant, sans ordinateur (écrire, envoyer des messages, consulter des archives), avec seulement un progrès du point de vue de la rapidité et de l'efficacité :
Les hommes :
A part des voix isolées, qui semblent vouloir enlever à l'ordinateur son aura mythique, comme par exemple
Il fallait compléter la phrase : "le rapport enseignant/élève est..." en chosissant une ou plusieurs des possibilités suivantes, que je vous donne avec les pourcentages des réponses :
D'autres toutefois (35% des femmes, 20% des hommes) n'ont pas évité l'anomalie implicite dans le double choix (on pouvait donner plus d'une réponse) comportant la cohabitation d'un "rapport inévitablement hiérarchique" (c'est-à:-dire de dominance) avec un "système de vases communicants" qui se voudrait horizontalement démocratique. Or, les deux ensemble évoquent plutôt la verticalité d'une phléboclyse. C'est là le cœur de la question. Les hommes ont beau mettre l'accent (on pouvait suggérer d'autres possibilités) sur la "réciprocité", la "co-évolution", la "complémentarité" du rapport pédagogique, il n'en est pas moins "directif". Les femmes, comme je l'ai déjà souligné, semblent être plus sensibles, plus attentives : elles souhaiteraient un "apprentissage réciproque" mais aussi un peu de "complicité", elles voudraient "partager"... mais surtout elles sont parfaitement conscientes de la complexité d'un rapport "contradictoire" et tellement ambigu que parfois on ne trouve pas les mots pour le décrire. Qu'est-ce qui se passe alors quand l'ordinateur, avec son cortège de difficultés et de problèmes, fait irruption à l'intérieur d'une relation déjà si problématique ? Ce lui technologique impose un ménage à trois très gênant aux enseignants, habitués à la simple structure moi (prof)/vous (apprenants). Interrogés sur le rôle de l'ordinateur dans l'enseignement, les participants, avec circonspection, ont souligné l'importance de cet artefact "utile", mais qui selon certain(e)s n'est pas (encore) "indispensable", qui n'est finalement qu'un "instrument", "comme le stylo, le pinceau, la calculette"... ![]() On peut apprendre aux élèves les notions indispensables pour qu'ils puissent l'utiliser, mais sans exagérer, car il risque de "réduire la complexité" et de "fragmenter les choses". Tout cela semble être très rassurant, très raisonnable. Mais tout change lorsque le questionnaire propose de compléter la phrase suivante : "je pense qu'à l'égard de l'ordinateur les élèves sont...". Selon les hommes, des élèves "délurés" qui "aiment" l'ordinateur (pour eux c'est un objet "familier", tout à fait "normal", ils l'ont "trouvé" tout prêt) "jouent et apprennent" avec aisance, tout simplement. Mais... (certains semblent surtout soucieux de ramener à de justes proportions les exploits de leurs élèves) mais ils ne sont pas aussi experts qu'on le croit, leur "désinvolture" cache souvent la "platitude", la "banalité"... et puis, ils devraient être "plus polis" !. Selon les femmes l'"enthousiasme", la "curiosité", l'"intérêt" des apprenants et leur "audace" sont indéniables, mais... parfois ils sont un peu "superficiels", "ils se sentent plus forts que les adultes", ils sont vraiment "hantés" par l'ordinateur, ils devraient être "plus prudents" et... "de toute façon" affirme une collègue "ils en font un usage tout à fait différent du mien" et - disons-le - "ils sont beaucoup plus forts que moi" ! Ça y est, le masque est tombé. Le questionnaire implacable veut savoir quelle est l'attitude de l'enseignant à l'égard de l'ordinateur. A part deux femmes selon lesquelles les profs s'en tirent très bien et deux autres qui refusent de se prononcer ("Ça dépend...", "NO COMMENT !"), les jugements au féminin sont unanimes (et sincères). Les profs "ne sont pas compétents", ils sont "timides/intimidés", parfois "paresseux", surtout "méfiants". Certains pensent devoir "opposer une résistance culturelle" à l'ordinateur; ils ont des difficultés, car ils sont incapables de conjuguer deux influences contradictoires : leur culture et la technologie, "savoir" faire et "faire", concrètement. Ils ne connaissent ni l'ordinateur ni ses possibilités sur le plan pédagogique, même s'ils affirment qu'il est indispensable. Et surtout ils se sentent remis en question en tant que "détenteurs du savoir". Et vlan ! Les hommes aussi soulignent la "peur", la "timidité" et la "méfiance" des enseignants (une question d'âge ?), mais ils insistent surtout sur une sorte d'oscillation, de balancement, ou mieux de polarisation dont les collègues (pas eux, évidemment !) sont des victimes : les deux pôles en sont la sur-évaluation et la sous-évaluation de l'ordinateur, avec lequel ils ont un "rapport anormal". "Hackers ou luddistes", ils devraient "collaborer" avec leurs élèves, mais ils préfèrent "éviter l'ordinateur" ou en faire un usage "mécanique" (la machine à écrire !) qui ignore la richesse de ses possibilités. Ces problèmes dérivent-ils vraiment, comme on l'affirme, de leur "incapacité" de comprendre le "fonctionnement" de l'ordinateur ? On dirait plutôt qu'ils sont prévenus contre la technologie en général. Ce qui est évident, c'est qu'au fur et à mesure que les artefacts technologiques s'imposent et deviennent plus performants, le fossé entre enseignants et apprenants devient plus profond. Les élèves chattent, bloguent, vidéotéléphonent, échangent des messages, des images, de la musique, jouent en équipe sur le Web, activent des robots, élaborent des programmes... Les profs au contraire, qui devraient offrir à leurs élèves un point de vue critique et responsable sur toutes ces activités, préfèrent les ignorer et se tenir à l'écart. Mais ils/elles en souffrent, et se sentent dépassé(e)s. C'est une souffrance qui va bien au-delà du milieu scolaire : elle affecte notre rapport avec les nouvelles générations. Pour terminer, vous pouvez vous abandonner à vos fantasmes en répondant à la question suivante : "A quoi vous fait penser l'ordinateur ?". Voici des réponses possibles. a) A une petite armoire pouvant contenir beaucoup de choses __ b) A un domestique idiot __ c) A un instit qui me donne des coups de baguette si je fais des fautes __ d) A un instrument malheureusement indispensable __ e) A une boîte à surprise __ f) A un objet froid et anonyme __ g) A un ami sympa __ h) A un rival redoutable __ i) A un objet qui me permet de gagner du temps et d'épargner des énergies __j) A un objet qui me fait perdre mon temps et mes énergies __ k) Au produit d'une technologie envahissante et inhumaine __ l) A un artefact qui se renouvelle sans cesse et donc me stimule positivement __ m) A un artefact qui se renouvelle sans cesse et donc m'oblige, ce qui est vraiment désagréable, à redevenir élève __ n) A un objet qui exige beaucoup de temps et d'énergies __ o)................. A vous ! |